Du MOX au MIX – Vers un nouvel avenir énergétique [Joël de Rosnay]
mardi 29 novembre 2011 – par Joël de Rosnay
Polémiquer sur l’avenir énergétique de la France en opposant le “nucléaire” aux “énergies renouvelables” est une démarche désormais stérile et inadaptée. Les deux peuvent être complémentaires. Mais sur une période de 20 ans, car tout dépendra de la transition souple du MOX vers le MIX, le combustible des dé-centrales éco-énergétiques.
Le MOX, est un combustible composé à 93% d’uranium appauvri et à 7% de plutonium. Mélangé à de l’uranium enrichi, il alimente 20 réacteurs nucléaires en France. Le MOX sera à 100% le combustible de l’EPR en construction.
J’appelle « MIX » l’ensemble interconnecté des énergies renouvelables directes et des sources d’énergie indirectes, incluant les économies d’énergies, l’efficacité énergétique et les moyens de stockage. Ce sont aussi des sources d’énergie – de « négawatts » – car toute énergie non consommée correspond, « en creux », à une source de production, une « négasource ».
La Terre reçoit en permanence du soleil 120.000 térawatts d’énergie. Soit en une heure – si cette énergie était totalement récupérable (sous forme photovoltaïque, thermique, éolienne ou de biomasse) – les besoins énergétiques mondiaux d’une année entière. Notre mode de vie actuel utilise 18 térawatts, dont les deux tiers sont gaspillés.
Le MIX comprend dix principaux composants:
1-Le solaire photovoltaïque ;
2-le solaire thermique (CSP, solaire à concentration) [1] ;
3-la biomasse (granulés de bois, déchets agricoles, déchets urbains);
4-le biogaz (fermentation de déchets organiques);
5-la géothermie;
6-l’éolien (offshore, terrestre, urbain);
7-l’hydraulien (turbines sous-marines utilisant l’énergie des courants marins);
8-l’hydroélectrique (turbines dans une rivière, barrages et chutes d’eau) ;
9-l’énergie des marées et des vagues ;
10-l’énergie thermique des mers (ETM) (différence de température entre la surface et l’eau des profondeurs).
S’ajoutent à ces sources directes, l’amélioration de l’efficacité énergétique (rendement des moteurs), les économies d’énergie (matériaux isolants, pompes à chaleur, puits canadien…), les compteurs intelligents, et les moyens de stockage de l’énergie : pompage éolien d’eau dans des réservoirs en altitude pour faire tourner des turbines en l’absence de vent ; le stockage souterrain de l’air comprimé fourni par des éoliennes (CAES – Compressed Air Energy Storage) ; silos de batteries lithium-ion ; ou hydrogène comprimé provenant de l’électrolyse solaire de l’eau (l’hydrogène peut être considéré comme de l’énergie solaire « en conserve »).
Le MIX produit principalement de l’électricité, à condition que les différentes sources et « négasources » mentionnées, soient connectées à une grille intelligente de distribution et de stockage, capable de s’adapter à l’offre, à la demande, au jour, à la nuit, à l’été, à l’hiver et aux différentes zones géographiques.
Un « Internet de l’énergie », une « smart grid ».
Avec cette grille intelligente, toute forme d’électricité produite devient compatible : le photovoltaïque, l’éolien, l’électricité fournie par des voitures électriques en stationnement (V2G, vehicle to grid), les mini-centrales hydroélectriques. Des sources qui, aujourd’hui, perturbent le fonctionnement du réseau de transport d’électricité passif. A noter que le nucléaire n’est pas absent du MIX et de la grille intelligente. Plutôt que des mégas centrales de 1.600 MW ou des EPR, il sera possible de connecter à la grille des petits réacteurs modulaires (Small Modular Reactors ou SMR ) de 300 MW, enterrés et sécurisés.
Les futures centrales nucléaires utilisant un nouveau combustible, le thorium , pourraient également être reliées à la grille intelligente.
Les choix vont être décisifs pour les 50 prochaines années, comme l’ont été ceux des années 50 pour le « tout nucléaire ». La France va-t-elle investir des dizaines de milliards d’euros pour assurer à la fois la sécurité des anciennes centrales, construire des centrales géantes fonctionnant au MOX et démanteler les anciennes, tout en poursuivant le retraitement des combustibles et le stockage des déchets ?
Ou bien, va-t-elle investir aussi, et dès maintenant, dans le MIX et la grille intelligente pour sortir progressivement et en souplesse du tout nucléaire ? Une telle stratégie conduirait à une nouvelle ère, à une véritable mutation sociétale: l’avènement d’une démocratie énergétique. Avec la création massive d’emplois dans les différents composants et modules du MIX, la responsabilisation des citoyens, la vente d’électricité en P2P (entre particuliers ou pair à pair), l’essor d’une éco-énergie 2.0, analogue au Web 2.0, avec la participation des usagers et l’association de petits producteurs énergétiques dans une « longue traine » de l’énergie.
Le mariage du numérique et de l’énergétique s’ouvre vers ce que j’appelle l’écomobilité. Grâce à l’automobile, l’automobilité a révolutionné le XXe siècle. Grâce au Smartphone, (équivalent numérique de l’automobile), l’infomobilité participe à la construction de la société du XXIe siècle fondée sur de nouvelles formes de relations humaines.
Pourtant, nous sommes encore des citoyens passifs et assistés face à l’énergie. Comme jadis, face à notre téléviseur, lorsque qu’avec l’ORTF nous ne disposions que d’une seule chaîne. Les lobbys nucléaires et pétroliers nous répètent : « Payez au compteur ou à la pompe, nous nous occupons du reste ». Le « retour à la bougie », la perte de compétitivité industrielle, les suppressions d’emploi, la délocalisation des usines, les prix exorbitants de l’électricité, sont mis en avant par certains leaders du monde politique et industriel. Le Président de la République a récemment rappelé : « Le nucléaire (…) c’est la France. ». On pourrait compléter cette déclaration par la suivante : « le MIX, c’est le monde !».
Faisons confiance à la démocratie énergétique. Soyons les « Indignés » de l’énergie « prescrite ». Assurons la promotion et le développement de l’écomobilité. Construisons une société de l’échange, du partage, de la solidarité, de la créativité et de l’innovation énergétique. Et non une société soumise au pouvoir de quelques-uns, politiques ou industriels.
La révolution énergétique c’est maintenant. Elle n’est pas technique mais citoyenne. L’avenir de nos enfants c’est le MIX, pas le MOX.
Joël de Rosnay, 26 novembre 2011
[1] Des miroirs focalisent l’énergie sur le sommet d’une tour comportant un capteur solaire et une turbine à vapeur, avec conservation de la chaleur 24h/24 grâce à des sels fondus.